Le Carnaval de Saint-Martin-Vésubie se concentrait traditionnellement sur deux jours gras et un jour maigre : le Lundi Gras, le Mardi Gras et le Mercredi des Cendres. Les deux premiers jours, une quête cérémonielle était organisée dans chacune des deux parties du village. Le troisième jour était consacré à la crémation du mannequin du Roi. L’organisation de ces journées était l’objet d’une importante codification, qui de nos jours semble demeurer la même depuis le milieu du XXème siècle.
Cette recherche, qui s'appuie sur les témoignages d’acteurs et organisateurs du Carnaval de ces quarante dernières d'années, ainsi que sur une étude systématique de la presse locale. Elle permet de décrire précisément la fête du Carnaval à Saint-Martin-Vésubie et d’appréhender son évolution depuis les années 1950.
Les principaux personnages du carnaval
Le Biffou
Contrairement au Carnaval de Nice, le personnage central à Saint-Martin-Vésubie n’est par le Roi, mais bien celui que certains présentent comme le fou de Sa Majesté Carnaval, le Biffou.
Sa particularité première est d’être incarné par deux personnes qui offrent deux visages d'un même personnage. Le Biffou djouve incarné par un homme qui n’est pas encore marié et le Biffou madge qui, lui, est marié. Ce dernier est souvent le dernier marié de l’année .
L’autre particularité de ce personnage réside dans son costume et ses accessoires. On lui connaît deux costumes. Soit le costume typique d’arlequin qui est taillé dans un tissu à damiers de toutes les couleurs, soit un habit composé de larges bandes transversales rouges et blanches . Même si ce costume varie selon les années, et encore par périodes semblerait-il, les accessoires, eux, sont toujours les mêmes. L’accessoire principal du Biffou est la massetto. C’est une pièce de bois d'un seul tenant et d'une quarantaine de centimètres de longueur, avec une poignée que prolonge un ensemble de fines lamelles . Des grelots et des clochettes sont cousus sur son chapeau pointu et sur sa ceinture, que l’on nomme cascavalhiero. Dernier accessoire, une petite bourse de cuir contenant des noix et des noisettes (on dit parfois « des pièces d’or »), attachée bien solidement au poignet gauche du Biffou et que les enfants s’efforcent de lui dérober.
Il semblerait qu’à une certaine époque les Biffous portaient aussi un masque grillagé : « un ‘bouffon’ en costume chamarré, collerette de tulle chargée de grelots, le visage recouvert d’un masque et la tête d’un haut couvre-chef pointu de fort belle allure » . Ce masque aurait eu pour fonction de cacher l’identité du Biffou durant le Carnaval . Quelques photographies des années 1950-1960 semblent confirmer la présence de cet attribut. Cela semble être également le cas pour le trevelin, d’après l’enquête orale menée à Belvédère et à Lantosque .
En ce qui concerne la nomination des Biffous, il semble que, pour la période 1940-2004, les hommes choisis pour endosser le rôle se proposaient ou étaient cooptés par les membres organisateurs. C’est ce qui ressort du témoignage de M. Jean RAMIN : « à l’époque y avait pas de comité des fêtes, c’était eux qui se désignaient, c’est-à-dire ils se trouvaient entre copains » . A l'inverse des Abbats, dont le choix relevait du domaine politique, le modèle de nomination des Biffous semble plus éloigné du pouvoir local.
Les Abbats
Le rôle des Abbats est souvent tenu par le président et le vice président de l’association organisatrice. En 1965, « le comité des fêtes carnavalesques est présidé par les deux Abbats » , alors qu’on faisait déjà mention, en 1963, des « Abbats directeurs de la fêtes » . Louis GASIGLIA indique que l’ancien mode de nomination des Abbats avait lieu lors de la ‘Fête des Garçons’, à la saint Jean Evangéliste, qui se déroulait fin décembre. On peut rapprocher ce témoignage de celui d’Henry MOUTON , qui évoque l’élection des Abbats lors de la fête des Innocents, le 28 décembre . En outre, le témoignage de Jean RAMIN nous affirme que les Abbats « se trouvaient entre copains », puisqu’il n’y avait pas de Comité des fêtes. Tous ces modes de désignation sont plausibles, mais ils se rapportent à des époques, à des situations différentes. De nos jours, la cooptation semble le mode de désignation le plus usité.
Le Porto Cavagn
Il est ce que l’on pourrait appeler « l’aide de camp » du Biffou. Il l’aide à se défendre contre les attaques des villageois et des enfants mais il est surtout là pour assister le Biffou lors de sa quête. En effet, avant-guerre, le Biffou récoltait des victuailles lors de sa tournée. C’était le rôle du Porto Cavagn que de les transporter. « Il passait avec une grande corbeille et il mettait tout dedans » . Il est désigné par Louis GASIGLIA comme « le gars qui portait » . Puis, quand les victuailles firent place à l’argent, le Porto Cavagn a été chargé de jeter des bonbons aux enfants qui suivaient le Biffou. Lui aussi est vêtu d’un costume d’arlequin, mais dans des teintes différentes et, bien sûr, il n’a pas les accessoires bruyants du Biffou.
Lors des tournées dans le village, des courses folles s'engagent à travers les rues. Le Biffou frappe vigoureusement de sa massette les personnes qu’il rencontre. Ces sorties sont parfois l’occasion de vengeances et peuvent engendrer des rancunes tenaces. Lors de certains affrontements, parfois très violents, le Biffou mis à mal est épaulé par son Porto Cavagno, lui aussi armé de la massetto. Dans certains quartiers du village, il est devenu traditionnel de voir de véritables guet-apens organisés pour recevoir le Biffou…
Le héraut
L’annonce du carnaval est réalisée l'après-midi du samedi précédant le mardi gras, par un Héraut, généralement juché sur un équidé, un mulet ou un cheval.
Il annonce l’arrivée de sa majesté Titoun, diminutif donné à Sa Majesté Carnaval à Saint-Martin-Vésubie. Il fait le tour du village, juché sur un âne ou sur un cheval, encadré par les deux Abbats, afin de prévenir les villageois du début imminent des festivités carnavalesques. Certaines photos le montrent vêtu du costume de Biffou, mais cela ne semble pas se confirmer au fil des années. Son annonce paraît être faite sur un modèle identique chaque année. En 1965, par exemple, année où Titoun était « le roi Zoro », l’annonce prenait la forme suivante : « Oyez gens de la cité, que « Zoro » viendra vous délivrer de vos soucis et de vos tracas. Riez, chantez et dansez. Il faut de la gaieté partout en quantité » .
Les principales phases du Carnaval.
Elles sont au nombre de trois. En premier lieu, c’est la tournée du Biffou. Il s’agit de l’élément central du Carnaval. Puis l’ambigut, apéritif qui réunit le village. Enfin, l’incinération de Sa Majesté Carnaval, qui clôture la fête.
La tournée du Biffou.
Elle se déroule le lundi et le mardi gras. Le lundi, le Biffou djouve exécute la tournée qui se déroule dans le haut du village. Dès le matin, l'Abbat, sa hallebarde fichue d'une morue, d’une fougasse, d’un poireau et d’un chou, le Biffou avec sa massetto, et la musique passent encore comme autrefois dans chaque maison pour collecter farine, œufs, huile, noix ou d'autres denrées que les villageois auront laissées sur la table de la salle.
Puis, le mardi c’est le Biffou Madje qui entre en scène et qui s’occupe du bas du village. Durant cette quête, le Biffou, entouré de son Abbat, de son Porto Cavagn et de musiciens entre dans chaque foyer afin de récolter des victuailles ou de l’argent . Toutes les maisons préparent une merendo : café, vin, pastis, selon l’heure, voir brande ou genepi accompagnent la petrino et autres charcuteries. Les tournées du Biffou prennent alors un temps certain, l’état des participants allant généralement de paire avec la convivialité retrouvée.
« Les deux dernières journées furent réservées aux visites des bouffons selon le programme traditionnel. C’est ainsi que les Abbats aux hallebardes enrubannées ouvrant la marche au son du fifre et du tambour, rendrent visite à tous les foyers. On peut voir les bouffons du roy, suivis des membres de la cour » . Dans la plupart des maisons, cette visite est attendue avec impatience. Il ne faut donc pas avoir le malheur d’en oublier une seule.
C’est durant cette tournée que les enfants du village tentent de voler au Biffou la petite bourse qu’il attache à son poignet gauche . Autrefois remplie de piécettes, , elle contient aujourd’hui des bombons que les enfants tentent de lui prendre. Pour les en empêcher, il court à toutes jambes ou frappe les enfants de sa massetto. De temps à autre, quand l’accueil des habitants se fait plus chaleureux, le Biffou apparaît à la fenêtre de la maison donnant sur la rue où l’attendent des groupes de jeunes. Le voyant, ceux-ci l’interpellent en criant « Avarou !!! », terme que l’on traduit improprement par « Avare !!! ». En gavuot, langue du pays de Saint-Martin, il aurait fallu dire : « ratchou ou pingre » . Après cette interpellation, le Biffou envoie des poignées de noisettes, de châtaignes ou, aujourd’hui, de bonbons aux enfants qui se précipitent pour s’en emparer. C’est alors qu’il saute dans la rue pour venir massetter les enfants occupés à ramasser les gourmandises…
C’est aussi lors de ces collectes que l’on peut observer des « combats » de jeunes villageois contre le Biffou. Il se défend à l’aide de sa massette, dont il se sert pour frapper, généralement à hauteur des fesses, toutes personnes qu’il rencontre ou celles qui ont peu ou pas donné lors de la quête .
Les ambiguts
Les ambiguts sont décrits comme des apéritifs ou des vins d’honneur qui se déroulent le lundi et le mardi à la suite de la collecte du Biffou .
L’apéritif du lundi est offert par la municipalité. Il se déroule sur la place Félix Faure (place de la Mairie, le village moderne), qui se trouve au nord du village .
L’ambigut du mardi se déroule sur la place de la Frairie, qui se situe au sud du village, dans sa partie la plus ancienne. Il est offert par l’association organisatrice . Ces apéritifs se déroulent en musique. Le Biffou du jour y est présent et conduit une farandole avec les habitants. Suivons la description que donne Nice-Matin de ces ambiguts : « Deux sympathiques réunions eurent lieu sur les places publiques pour répondre aux aimables invitations du conseil municipal et du comité des fêtes qui offraient, le lundi sur la place Félix Faure et le mardi sur la place de la Frairie un apéritif à la population. Chacune de ces deux réunions se clôturait par une farandole monstre dans les rues de la cité » .
Ces deux rassemblements s’adressent à toute la population du village et ont lieu chaque fois dans la partie géographique de la tournée du matin.
L’incinération du Roi
Le Mercredi des Cendres, on brûlait le mannequin de Carnaval sur la Place de la Gare. Désormais, l’incinération a lieu le mardi soir et représente le dernier moment fort du Carnaval. Ce caramentran est accompagné en procession jusqu’au bûcher. Le char du roi est entouré des Abbats, des jeunes portant le costume des pénitents blancs et des musiciens.
Parallèlement à cette procession, les deux Biffous entraînent la population dans les deux dernières farandoles du carnaval. Lorsque le feu est mis au bûcher, les musiciens entament l’air de l’Adièu paure Carneval (Adieu pauvre Carnaval), air qui accompagne le roi jusqu’à sa complète disparition. Cette chanson fait alterner les rythmes lents et rapides et les danseurs, entraînés par les Biffous autour du bûcher, suivent ces variations.
Lorsque le rythme est lent, tous les participants de la farandole s’accroupissent autour du Roi en feu, puis trois coups de timbale retentissent. A ce signal, qui annonce l'accélération du rythme, tous font un bond et repartent en farandole jusqu’au prochain changement de rythme. Même si c’est le roi qu’on brûle, le Biffou tient ici encore une place centrale.
Ces trois principales phases du Carnaval soulignent la personnalité et le rôle central attribué au Biffou lors du Carnaval de Saint-Martin. Les témoignages recueillis et notre participation régulière au Carnaval ces dernières années nous permettent d’affirmer que celui-ci n’a pas subi de modifications majeures.
Source : http://gili-eric.e-monsite.com/pages/articles/le-carnaval-de-saint-martin-vesubie.html#yqercHb3LK1A4AAF.99
Photographies : Lionel LECOURTIER et Pierre GAUTHERON
Galerie photos du Carnaval 2016 :
images/carnaval2016
n'est ni une URL ni un chemin relatif à un fichier ou dossier existant.